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Si t'as froid l'hiver, brûle un ministère.

Si l'hiver est dur, brûle une préfecture.
16 septembre 2013 1 16 /09 /septembre /2013 06:59

L'usage de la force est le monopole des pouvoirs publics.

 

C'est un principe assez simple à comprendre, non ? Ce qu'il y a de bien, c'est que c'est aussi un principe fondateur de notre démocratie. Donc celui qui y déroge est soit un imbécile incapable de comprendre un principe aussi simple, soit un mauvais français qui ne se reconnaît pas dans une règle fondamentale de notre vivre-ensemble. Pas un héros.

 

D'accord, il y a des événements dérogatoires, qu'on appelle "légitime défense". Ils sont prévus par la loi. La légitime défense permet l'usage de la force en cas d'atteinte aux biens ou aux personnes. Ce qu'il y a à en retenir pour le cas qui nous occupe, c'est que la légitime défense ne peut jamais être invoquée lorsqu'il y a homicide lors d'une atteinte aux biens. C'est la loi. Par ailleurs, la force employée ne peut être reconnue de légitime défense que si elle l'est pour faire cesser le danger.

 

Pas mal de gens soutiennent le bijoutier niçois qui a tué l'un des deux braqueurs de sa boutique ; celui-ci n'était pas en légitime défense. Le danger avait cessé, puisque les braqueurs fuyaient ; il y a eu homicide lors d'une atteinte aux biens ; il a tiré trois balles dans le dos du fuyard, ce qui est un moyen clairement disproportionné (la proportionnalité de la riposte est aussi un élément de la légitime défense). Il y a donc homicide volontaire, sans légitime défense, mais sans préméditation - donc c'est un meurtre, pas un assassinat. Pourquoi alors soutenir un hors-la-loi plutôt qu'un autre ? Si on a le droit de tuer un braqueur qui s'enfuit, pourquoi n'aurait-on pas le droit de braquer une bijouterie ? Pourquoi s'aventurer à prendre parti pour un meurtrier contre un braqueur (que les choses soient claires, le corollaire, c'est que l'inverse est vrai également : pourquoi s'aventurer à prendre parti pour un braqueur contre un meutrier) ?

 

Les arguments invoqués sont absurdes. On entend : le braqueur savait ce qu'il risquait, il a joué, il a perdu, tant pis pour lui. D'accord, c'est vrai ! Mais ça ne concerne pas que le braqueur. Le bijoutier savait exactement ce qu'il risquait en acquérant une arme et en tirant dans le dos ; il l'a fait quand même, il va prendre cher. Tant pis pour lui aussi, non ? Ou bien deux poids et deux mesures ? La justice ne peut être justice que si la loi s'applique autant aux braqueurs qu'aux bijoutiers.

 

On entend aussi : son geste est compréhensible. Il a subi plusieurs braquages, il a peur, il en a marre, il est excédé. Oui, son geste est compréhensible. On est tous susceptibles de péter un boulon un jour sous le coup du stress, de la pression, d'une émotion intense telle que la peur ou la colère. Pour autant, si compréhensibles que soient nos raisons, est-ce excusable ? Cela nous dédouane-t-il de notre responsabilité pénale ? Non. Cela constitue juste une occasion d'invoquer des circonstances atténuantes - qui ne déculpabilisent pas. Par ailleurs, les motivations du meurtrier pourraient être compréhensibles et pas celles du braqueur ? Après tout, chacun d'eux a fait un très mauvais choix à un moment donné (ou à plusieurs moments donnés pour le braqueur). Un mauvais choix qui s'appelle un passage à l'acte criminel, puni par la loi. Il n'y a pas de "bonnes raisons" qui mènent à un mauvais choix - il n'y a que des mauvaises raisons. Si ces raisons étaient bonnes, le choix le serait aussi. Pas plus le coup de sang du bijoutier que la malveillance intrinsèque qu'on présuppose (à mon avis à tort, parce que la criminalité et la délinquance ne peuvent se résumer à un manichéisme simpliste) au braqueur ne sont de bonnes raisons. Ce ne sont que des explications qui éclairent le fonctionnement de l'être humain, pas un substitut à la loi.

 

Il y a les résignés : bon, d'accord, le bijoutier va prendre cher, mais au moins, les voyoux vont réfléchir à deux fois avant de s'attaquer à une autre boutique. Désolé, mais si les voyoux savaient "réfléchir à deux fois", ils ne seraient pas délinquants. Et voyons un peu ce qui se passe ailleurs. Aux States, ce genre d'événement arrive régulièrement ; le port d'arme est non seulement accepté, mais recommandé. Défendre son bien est une des libertés fondamentales des citoyens américains. Pour autant, les attaques à main armée ont-elles disparu, ou même diminué, du territoire américain ?

 

La mauvaise foi pousse également à ces excès : ceux qui ne soutiennent pas ce bijoutier sont du côté du braqueur. Non, ils sont du côté de la justice. Ce qui rend hargneux, c'est que le bijoutier a soustrait ce braqueur à la justice de tous. Et pire encore, de nombreuses personnes applaudissent et acceptent d'être ainsi désaisies de leur prérogative collective. Ce que ceux qui soutiennent disent, en réalité, c'est : j'abandonne mon droit à avoir un regard et un contrôle sur la justice de mon pays.

 

En parlant de justice, le fond diffus de cette vague de soutien s'inscrit dans la croyance que la justice est laxiste. C'est une croyance répandue parce qu'il n'y a pas assez de gens qui vont assister à des procès en correctionnelle ou aux assises. Allez-y, c'est instructif, et ça nuance assez largement l'idée que les "juges relâchent les délinquants que les flics ont tant de mal à arrêter". C'est la même chose pour les tribunaux pour enfants, mais là, vous êtes obligés de me croire sur parole vu que les audiences ne sont pas publiques. La population carcérale en France n'a jamais été aussi nombreuse. Pourtant, le taux de morts par homicide n'a jamais été aussi bas. Vérifiez.

La justice condamne en proportion des actes commis, pas en fonction de ceux qui pourraient l'être. Pensez aux petits excès de vitesse que vous commettez tous les jours, pensez aux fois où vous vous êtes garés illégalement, aux nombreuses fois où vous traversez en dehors des clous, avant de demander à la justice de devenir "préventive".

 

Il y a une différence entre mal se garer et braquer une bijouterie, direz-vous. C'est vrai d'un point de vue moral, mais voilà : ce ne sont pas les curés qui font la loi (dieu merci !). La loi est une limite. Toute limite signifie qu'il y aura toujours transgression, à un moment ou à un autre ; la justice est là pour dire que la transgression se paye, plus ou moins cher, et c'est valable pour tous. Elle n'est pas là pour éradiquer la transgression. Pour cela, il faudrait éradiquer la limite. Dans cette affaire, le braqueur n'a pas payé le fait d'avoir transgressé ; lui, il est mort, il s'en fout ! C'est sa famille qui paye ses transgressions à lui. S'il avait été jugé pour le braquage, il aurait pris plus de prison que ce que le bijoutier va écoper - parce qu'en cour d'assises, les jurés retiendront pour lui les circonstances atténuantes, c'est évident.

 

L'acte du bijoutier est donc imbécile - il ignore un principe simple et élémentaire, incivique - il bafoue un principe fondateur de notre vie en société, et injuste - il punit arbitrairement. Qui le soutient soutient la bêtise, l'incivisme et l'injustice.

 

 

Correction mineure (merci pour ça à Maître Eolas que je vous incite à visiter) : les "circonstances atténuantes" n'existent plus depuis 1994 - autant pour les pourfendeurs du laxisme judiciaire.

Cela dit, elles sont implicites au regard des peines prononcées, donc dans les faits, ça ne change pas grand chose pour le bijoutier.

 

 

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